Entretien avec Jacques Santou, auteur de « Ataï, le Kanak révolté »

Avec Ataï, le Kanak révolté, Jacques Santou ressuscite la mémoire d’un chef kanak devenu symbole de résistance face à la colonisation française. En restituant le destin tragique d’Ataï, figure emblématique de la révolte de 1878, il interroge notre rapport à la mémoire coloniale, à la justice et à la réconciliation. Pour Boukan, il revient sur cette mémoire vive et sur ce que la parole kanak peut encore enseigner à la France d’aujourd’hui.

Boukan : Votre livre Ataï, le Kanak révolté redonne vie à une figure emblématique mais encore méconnue de l’histoire calédonienne. Qu’est-ce qui vous a conduit à écrire ce récit aujourd’hui ?

Jacques Santou : Pour répondre à cette question, il me faut remonter plusieurs années en arrière. Étudiant aux “Langues O” — l’actuel INALCO — j’ai étudié la langue d’Houaïlou avec le fils du grand missionnaire ethnologue Maurice Leenhardt. Ses livres, véritable mine de renseignements sur la vie autochtone, m’ont énormément aidé pour la rédaction de mon ouvrage. Il faut se rappeler qu’il arriva sur le « Caillou » en 1902, à un moment où l’on disait : “Dans dix ans, il n’y aura plus un seul Kanak.” C’était à peine cinquante ans après la prise de possession française, et déjà une hécatombe avait frappé ce peuple — maladies, morts, exils.


Boukan : Vous évoquez souvent des rencontres décisives. Quelles figures ont marqué votre parcours d’ethnologue et d’écrivain ?

Jacques Santou :Une rencontre essentielle fut celle de la linguiste Jacqueline de La Fontinelle — la mère d’Emmanuel Kasarhérou, aujourd’hui directeur du musée du quai Branly. Elle vivait en Nouvelle-Calédonie, s’était mariée — fait rare — à un Mélanésien, et c’est par son intermédiaire que mon épouse, ma fille et moi avons pu vivre un an dans la tribu de Ba pour réaliser un film documentaire.
Cette aventure humaine a donné lieu à une diffusion sur RFO et à des conférences, en métropole comme en brousse calédonienne. Lors d’une projection à la F.O.L. de Nouméa, un spectateur prestigieux était présent : Jean-Marie Tjibaou. Il m’avait dit avec humour, dans son bureau de Président de l’Assemblée territoriale : “Pour un non-Kanak, vous nous avez assez bien compris.” C’est cette cohabitation au cœur de la tribu qui m’a permis de “rencontrer” Ataï, dont la figure est devenue pour moi emblématique.


Boukan : Votre roman mêle vérité historique et souffle romanesque. Pourquoi ce choix de forme ?

Jacques Santou : J’ai constaté l’ignorance qu’ont beaucoup de Français de métropole à l’égard de la Nouvelle-Calédonie et, surtout, de son peuple premier. J’ai donc choisi, en amoureux de l’écriture, une forme parfois romancée — alors même que tous les faits rapportés sont exacts — pour être au plus près des protagonistes, Kanaks comme Européens, dans leur confrontation.


Boukan : Vous soulevez dans le livre des questions encore sensibles : inégalités, mémoire, réconciliation. Pensez-vous que la blessure coloniale soit toujours ouverte ?

Jacques Santou : Le manuscrit de mon livre a peut-être rebuté certains “grands” éditeurs à cause de cet arrière-plan politique, toujours d’actualité. Les référendums ratés ont laissé une rancœur sourde. Beaucoup de jeunes Kanaks subissent encore une inégalité scolaire et professionnelle flagrante, et le mépris de certains Caldoches ou “z’oreilles” les blesse profondément. Ils ne devinent même pas l’atavisme d’un peuple pour ses racines. Les émeutes de mai 2024 ne m’ont, hélas, pas étonné.


Boukan : Vous écrivez qu’Ataï “meurt en révolté, mais aussi en homme de dialogue”. Que faut-il retenir de ce message aujourd’hui ?

Jacques Santou : Votre phrase me touche beaucoup, car elle est juste. Le lecteur doit comprendre les mobiles de son désespoir pour mesurer la grandeur de son combat. Les Kanaks sont des “gens de parole”, dans les deux sens du terme : la parole comme transmission, mais aussi comme engagement. Seul un dialogue honnête — je pense à la poignée de main entre Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur — permettra, peut-être, une réconciliation véritable.


Boukan : Un dernier mot pour nos lecteurs ?

Jacques Santou : J’espère que ce livre aidera à mieux connaître ce territoire et ce peuple premier, dont la dignité et la mémoire méritent d’être entendues.

Ataï, le kanak revolé. Edition les 3 Colonnes. 234p. 19,50 €

Les nuages s’effilochent maintenant inéluctablement à tel point que l’on distingue entre leurs filaments les rondeurs d’une lune pleine comme un oeuf de notou.* Son halo découvre alors la cambrure de la plaine de la Fonwhari d’où on l’a exclu, lui Ataï avec ses sujets, quand la Commission de délimitation des terres
l’obligea, il y a seulement quelques mois, à se replier au lieu-dit «Pwero ». Cet organisme carnassier n’avait pas non plus ménagé les tribus voisines de Moindou, Moméa, Scindié, Mandjai, Ona, Pocquereux, Oua-Tom tandis que les nouveaux venus, d’année en année, s’approprient des hectares de jungle qu’ils transfigurent en les labourant pour y planter des arbres fruitiers, des pieds de santal, des caféiers, des vanilliers et introduire de nouvelles cultures comme le tabac, le maïs, la canne à sucre… Les colons poussent leurs troupeaux toujours plus en avant… des bêtes à moitié sauvages dont les sabots transpercent le sol à cause d’un élevage extensif, quasi anarchiste. Il a été obligé de construire avec ses hommes des clôtures maintenues par des lianes mais sans grand succès et ils ont beau porter régulièrement plainte à qui de droit, ils sont irrémédiablement éconduits. Il se souvient très bien de ce jour où il osa s’adresser directement au gouverneur de Pritzbuer. Il s’était présenté au politicien avec deux sacs en main. Il vida celui qui contenait de la terre en lui disant : « Voilà ce que nous avions » et montrant les cailloux qui remplissaient l’autre : « Voilà ce que tu nous laisses ! »

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