Le Bagne des Annamites – Les derniers déportés politiques en Guyane
A l'époque, le projet de l'Empire français, alors au faîte de sa puissance, consistait à faire défricher par ces cinq cent hommes venus de l'autre bout du monde un territoire d'Amazonie aussi grand que l'Irlande. Inaugurée moins de dix ans avant la Seconde Guerre mondiale, la suppression du bagne et le processus de décolonisation, cette folle entreprise, aussi hasardeuse que démesurée, a condamné des centaines d'hommes à la mort ou à l'exil.
Ce contingent d' « Annamites », comme on disait à l'époque, avait ceci de particulier qu'il comprenait une centaine d'individus condamnés pour des faits politiques. Aussi minoritaires étaient-ils, ces nationalistes et communistes opposants à la colonisation française, ont importé au fin fond de la forêt guyanaise une culture de l’insubordination, tout droit héritée de l'établissement carcéral indochinois de Poulo Condore. Les trois bagnes des Annamites – Crique Anguille (Tonnegrande), La Forestière (Apatou) et Saut-Tigre (Sinnamary) - ont ainsi été régulièrement agités par des mouvements collectifs d'insurrection orchestrés par une poignée d'hommes remarquablement entraînés et déterminés. Ce phénomène de colonisation transversale a fait de l'Inini le miroir de l'Indochine.
Le livre s'attache aux pas de ces « politiques » avant, pendant et après leur incarcération. Suite à la fermeture des bagnes, survenue dans l'immédiat après-guerre, les survivants, otages involontaires de la défaite française en Indochine,- ont dû attendre presque vingt ans pour regagner leur terre natale. Certains ont repris le flambeau de l'activisme au Vietnam, beaucoup ont trouvé la mort en Guyane, et d'autres sont restés sur l'ancienne « terre de la grande punition », où de nombreux descendants témoignent encore de la trajectoire singulière de leurs pères. Après des décennies d'oubli, le bagne des Annamites de Crique Anguille vient d'être classé au titre des monuments historiques. En Guyane, le travail de mémoire, auquel cet ouvrage contribue amplement, est désormais à l’œuvre.
L'essai, qui repose sur des archives écrites et photographiques pour la plupart inédites, est parvenu à rendre toute leur épaisseur humaine à ces matricules, ces « unités » comme on les appelait dans le jargon administratif, ballottés par les caprices de la colonisation et de la décolonisation. Tantôt tragiques, quelquefois picaresques, souvent mélancoliques, ces récits de vie « irriguent » le récit de bout en bout. Tant d'histoires, petites et grandes, méritaient de sortir du néant. L'auteure s'y est magistralement employée.