Parc national de la Visite : les dernières forêts d’Haïti

« Les arbres ne votent pas ! » explique Winthrop en regardant d’un air pensif le jeune conservateur du Parc, appellé “agronome Ménard ” par ses concitoyens. Habitant au village de Seguin depuis près de 30 ans, Winthrop Attié a vu la forêt de pins s’évanouir année après année. Désormais, la pinède commence à quelques centaines de mètres au-dessus de sa maison de pierre, un magnifique gîte situé sur le plateau du massif de la Selle, à 1900 mètres d’altitude, entre Port-au-Prince et Jacmel. Un lieu qui possède un grand potentiel touristique, parsemé de chutes d’eau, de sentiers forestiers, de points de vue majestueux sur la montagne. Winthrop, bien décidé à se battre pour protéger ce patrimoine exceptionnel, a fondé il y a quelques années avec des amis une association : la fondation Seguin. Il était temps, la forêt est en péril.

Il est de notoriété publique que la forêt naturelle d’Haïti est en voie d’extinction. A l’arrivée des premiers occidentaux sur l’île d’Hispagnola* en 1492, on pense que 85% de l’île était recouverte de forêt. Au moment de l’indépendance d’Haïti, en 1804, il en restait encore 60%. Au début du règne des Duvallier en 1954, ce chiffre était déjà passé à 18%, après une occupation américaine entre 1915 et 1934, de fort développement mais probablement destructrice en terme de forêt. Aujourd’hui, la forêt naturelle ne représente plus que 1,5% de la surface d’Haïti. Le pays, peuplé de près de 10 millions d’habitants, dont de nombreux ruraux qui vivent de l’exploitation de leurs carreaux* de terre, est un exemple de déforestation chronique et de ses conséquences.

L’initiative du Parc national

Le parc national de la Visite est un magnifique site naturel, un havre de paix et de fraîcheur, qui domine du haut de ses 2000 mètres (le massif atteint 2680 mètres avec le pic de la Selle), l’enfer de Port-au-Prince au Nord Ouest, et la paisible ville de Jacmel au Sud Ouest. « Si j’en avais la possibilité, je viendrais tous les week-end » nous explique Felix Joseph, au volant de sa Toyota 4x4, qui s’accroche péniblement au chemin caillouteux qui mène à Seguin, la principale bourgade du parc. Cet Haïtien d’une cinquantaine d’années fût à l’origine du projet qui, en 1982, donna naissance aux deux premiers parcs nationaux haïtiens : le parc national de la Visite et le parc national de Macaya, soit en surface la moitié des vestiges de la forêt naturelle d’Haïti. Le projet, financé par la banque mondiale, avait pour objectif de protéger les derniers pans de forêts situés sur les massifs montagneux haïtiens. Dans le massif de la Visite, deux scieries ont exploité le bois de pin (Pinus occidentalis), la principale essence constituant cette forêt d’altitude, en réalisant des coupes rases jusqu’en 1975.

Protéger l’eau

Derrière la problématique forestière, c’est aussi l’eau qui doit être protégée. Le massif de la Selle est la réserve aquifère de Port au Prince, de Jacmel, de Léogane, soit plus de 3 millions de personnes, et près de 9 rivières y trouvent leur source. Sans la forêt et à cause de l’agriculture et de l’élevage, l’eau n’est plus retenue par le sol, et l’érosion provoque des glissements de terrain et des inondations catastrophiques pendant la saison cyclonique.
En 1986, un premier décret prévoit la mise en protection de 6000 ha, un deuxième en 2006 le réduira à 2000 ha. Pire encore, à y regarder de près, ce parc national n’a jamais passé le cap de la bonne intention : en effet, aucun plan de gestion et surtout aucune délimitation officielle n’ont été définis concrètement. Il est seulement prévu que le parc se situe au dessus de 1500 mètres.. Les gardes forestiers n’ont aucun pouvoir de répression et font souvent figuration devant les actions de coupe illégale des habitants. En fait, aucun homme politique n’a jamais pris le risque de concrétiser le projet, qui s’étale sur 3 communes assez réticentes..

Un fort endémisme

Le plateau du massif de la Visite est exceptionnel dans toute la Caraïbe, car il est surmonté de montagnes, culminant à plus de 2000 mètres, et que l’on trouve sur la seule île d’Hispagnola*. L’écosystème possède ainsi un endémisme très important d’espèces arbustives et herbacées. Hormis le Pinus occidentalis, endémique de l’île et qui pousse au dessus de 1500 mètres, on y trouve aussi les vestiges d’une riche forêt de feuillus, de type forêt nuageuse. La pinède possède un rôle écologique de rétention de brouillard, de fixation du sol. De nombreux oiseaux vivent dans les vestiges de cet écosystème, 16 d’entre eux sont endémiques au parc de la Visite : le Merle de la Selle, en danger d’extinction (Turdus swalesi), le Bec-croisé d’Hispagnola (Loxia megaplaga), le Tangara quatre yeux (Phaenicophilus poliocephalus), le Caleçon rouge ou Trogon damoiseau (Priotelus Roseigaster). L’herpetofaune* est aussi constituée d’espèces endémiques de l’île et pour certaines du massif lui-même. Enfin, on y trouverait un étrange petit mammifère insectivore au long nez, endémique de l’île, qui semble avoir survécu jusqu’ici, mais est aujourd'hui en danger critique d’exctinction : le solénodonte d’Haïti (Solenodon paradoxus).

Agriculture et déforestation

Située à 22 km de Port-au-Prince, la capitale surpeuplée et chaotique d’Haïti, le parc national de la Visite porte bien son nom. En 4h de marche et 30 mn de moto, les habitants peuvent descendre jusqu’au quartier de Pétionville, qui s’accroche dans les hauteurs de la capitale, pour vendre leurs denrées dans les marchés. Le climat frais et tempéré qui règne sur le plateau du parc national est très propice à la culture maraîchère. Le PNV est ainsi constellé de jolies petites exploitations de carottes, de laitues, de maïs, de choux, d’oignons, des légumes très demandés à Port au Prince. « Nous avons une densité de près de 350 habitants au km² dans et autour du parc, soit 35 000 personnes dans une zone de 10 000 ha, qui vivent de l’agiculture maraîchère» explique Emmanuel Dextra, ingénieur forestier haitien trentenaire, embauché par la fondation Seguin, une ONG locale qui travaille pour la conservation du site. « Le tremblement de terre du 11 janvier a aggravé la situation en ramenant de nouveaux habitants; aujourd’hui même les camions s’aventurent dans la zone du parc pour charger les denrées produites». Dans le “coeur” du parc, les derniers 900 hectares de forêt de pins, 400 familles vivent, et souvent défrichent progressivement la forêt. « On utilise en effet le bois du pin local de multiples manières » explique Emmanuel, « le petit fagot, riche en essence inflammable, est vendu comme allume-feu, qu’on appelle Bwagra. Près d’un quart des arbres du Parc subissent ce genre de prélèvement. Les branches sont aussi vendues pour faire du feu, et on constate qu’un tiers des pins ont subi des tailles. Enfin, le tronc est utilisé comme matériel de construction, et parfois pour produire de la chaux vive, une activité qui consomme une quantité importante de bois ! »

La résistance s’organise

L’une des clefs du problème de la déforestation en Haïti réside dans le foncier. L’absence de délimitation claire du PNV, et le manque de volonté politique pour le définir sont un problème central en Haïti, où la notion de propriété est essentielle, alors que l’Etat n’est pas en mesure de mettre en place un système fiable, durable, et non corruptible. Des derniers dirigeants du pays, Duvalier, Aristide, Préval, aucun ne s’est attaqué à une difficile réforme agraire, point sensible qui permettrait peut-être de résoudre certains problèmes fonciers. Mais depuis 200 ans, l’histoire agricole haïtienne s’est construite en opposition avec le système foncier colonial et capitaliste, aboutissant à une approche quasi anarchique du foncier. Les “carreaux de terre*” cultivables deviennent accessibles au plus grand nombre, et la forêt en fait aujourd’hui les frais.
Face à ce problème, la fondation Seguin, une association haïtienne fondée en 2004, tente de sauver la forêt de la destruction, essentiellement par des programmes de reboisement. « Ce sont surtout des agronomes qui ont géré la forêt en Haïti jusqu’à présent, comme une ressource naturelle, avec une gestion à court terme, il est temps de changer de vision » explique Emmanuel. En 2008, le projet Araucaria, grâce à 25 000 plants de pins offerts par la République dominicaine, initie ce renouveau. Après le séisme, c’est le projet très médiatique 300 000 pyebwa, nan Pak la vizit nan memwa viktim 12 Janvye 2010, qui prévoit de planter 300 000 plantules ou sauvageons naturels en mémoire des victimes du séisme. « ll s’agit de récupérer  et de collecter les semences du pin en haut de l’arbre. Avec la fondation Seguin, nous avons formé une dizaine d’habitants à grimper pour collecter les semences en hauts des pins, semences que nous leur avons acheté par la suite » raconte Emmanuel. « Le taux de germination atteint 80% avec cette technique et les gens pourront bientôt planter par eux-mêmes ». Comme beaucoup de choses en Haïti, le programme est financé à 100 % par US Aid, le puissant organisme national américain de subventions au développement. D’autres programmes de la fondation Seguin organisent des séjours de découverte pour les enfants, ou trouvent de nouvelles activités de subsistance pour les habitants, pour les détourner de la coupe de bois. Ainsi, avec l’association allemande HGT2, partenaire de la fondation Seguin, un programme a consisté à développer l’élevage de poussins pour les femmes, ou encore la couture. L’un des défis en Haïti, aujourd’hui face à des quantités d’initiatives prises par de multiples ONG, parfois contradictoires (ainsi le gouvernement taïwanais a subventionné une tentative de reboisement par une espèce de bambou sur plusieurs dizaines d’hectares), est d’arriver à coordonner les actions, pour éviter les incohérences...

Lors de notre passage, plusieurs membres de la fondation Seguin étaient en passe de terminer leur contrat, sans aucune garantie de pérennité pour leur travail. L’espoir de voir perdurer le massif forestier du parc est “mince” selon Christian, un agronome allemand qui travaille sur le site depuis 3 ans. Après le parc national de la Visite, qui subit la proximité de la capitale haïtienne, subsitera encore la forêt du parc national du Pic Macaya. Mais combien de temps pourra-t-on garder cet ultime reliquat de forêt naturelle ?
Maladi pa tombé sou pié bwa se sou kretien li tombe, dit un proverbe haïtien avec fatalisme, « c’est typique de la vision haïtienne de la forêt, encore invulnérable dans l’esprit des gens, et sans lien avec leurs problèmes quotidiens... C’est par l’éducation qu’on changera les mentalités, si l’on veut avoir une chance de profiter de cette forêt dans quelques années, et éviter les catastrophes », conclut Emmanuel.

INFOS PRATIQUES

Parc National de la visite
Se loger :
Auberge de la visite : Tel (509) 3851-0159
contact : [email protected]

Fondation Seguin
contact : [email protected]
www.fondationseguin.org
adresse : #100 rue Lambert, Pétion-Ville, Haïti.
Tel :  25 13 49 01 / 34 49 74 45 / 34 45 01 11

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