Boukan N°04

La présentation des économies insulaires donne fréquemment lieu à quelques poncifs, dont le moindre n’est pas leur dépendance à l’argent public. Aubaine pour les uns, malédiction pour les autres, ces fonds concentrent beaucoup de critiques. On entend qu’ils creuseraient les inégalités, seraient responsables de l’explosion du coût de la vie, et in fine empêcherait tout équilibre économique. Une situation inextricable, et une addiction pour le moins paradoxale, alors que les discours politiques vantent la richesse et le potentiel exceptionnels des Outremer.
Cette prospérité rêvée, qui n’a cessé de se dérober, ne serait-elle qu’un mirage économique ? Il y a trois siècles, les Outremer sonnaient comme une promesse d’opportunités pour des colons en quête de fortunes. Cette histoire a forgé un mythe : ces terres tropicales indomptées n’attendraient que l’ingénierie technique de l’Homme pour révéler leurs immenses potentialités. Malcom Ferdinand, jeune philosophe et agronome martiniquais, rencontré à l’occasion de ce numéro, parle à ce sujet de l’« habiter colonial ». Aujourd’hui encore, on peut vanter les mérites d’une mine d’or géante aux revenus gigantesques, de productions intensives de bananes, ou d’hôtels 5 étoiles attractifs, autant de projets qui n’ont que rarement répondu aux attentes, sauf à celle d’engloutir quantités de généreuses subventions et à détruire durablement de précieux écosystèmes.
Ces vitrines d’une réussite aussi ostentatoire que contestable finiront-elles par appartenir au passé ?
Alors que les fautes de l’histoire coloniale resurgissent avec force dans le débat public, l’heure est venue d’un changement de paradigme. En ce début de XXIe siècle, comment les économies ultramarines créeront elles une richesse profitable à leur population ? La réponse passera peut-être d’abord par un changement d’échelle. Il se pourrait que des initiatives locales et à taille humaine, connectée à la réalité du terrain, et adossée à des micros crédits, créent plus de valeur que de coûteux éléphants blancs, et de manière plus durable. La recherche de l’autosuffisance alimentaire, notamment par un retour à un modèle d’agriculture familial, l’utilisation d’énergies renouvelables, donneront aux habitants la possibilité de s’adapter aux difficultés du XXIe siècle, sous réserve d’une dynamique d’innovation ambitieuse.
La crise Covid19 fait apparaitre la nécessité d’une moindre dépendance à la métropole. Dans le même temps, elle accélère la dématérialisation de l’économie. L’émergence du high-tech et du low-tech est une opportunité cruciale pour nos territoires. La labellisation de différents écosystèmes “French Tech”, décrite dans notre rubrique “Outremer Tech”, en Guyane, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie, à la Réunion, donne le ton ; les économies ultramarines vont s’appuyer sur la révolution digitale et l’éloignement insulaire ne sera plus un handicap pour réussir.